

La Roumanie, lanterne rouge de l'UE face à la rougeole
Des mères réticentes à faire vacciner leurs enfants contre la rougeole, l'épidémiologiste Daniela Gafita en rencontre régulièrement lors de sa tournée des villages du nord-est de la Roumanie.
Sa mission est devenue difficile face à des convictions anti-vaccin de plus en plus ancrées, raconte à l'AFP la quinquagénaire, qui fait du porte-à-porte dans cette région parmi les plus touchées du pays d'Europe orientale.
Mais elle ne baisse pas les bras: "nous essayons petit à petit de combler le retard perdu" au fil des ans, dit-elle, alors que le taux de vaccination de la population est tombé à 62%, au plus bas dans l'Union européenne, loin des 95% nécessaires pour assurer une immunité collective selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans une Europe qui voit revenir en force cette maladie contagieuse, la Roumanie est en première ligne: de juin 2024 à mai 2025, elle a enregistré huit décès et 13.000 des quelque 18.000 cas de l'Espace économique européen, qui comprend les 27 membres de l'UE, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein.
Du Vieux continent aux Etats-Unis, la situation est inédite depuis plusieurs décennies, nourrie par une désinformation qui fait rage sur les réseaux sociaux depuis la pandémie de Covid-19.
- Peur irrationnelle -
"J'ai entendu dire que le vaccin était dangereux", souffle l'une des habitantes de la commune de Raucesti, pas convaincue du tout pour son petit garçon.
Elena Armenia, 34 ans, est dans le même état d'esprit après avoir lu "des choses sur un lien avec l'autisme", une notion régulièrement démentie par la communauté scientifique. "La peur s'est instillée en moi et je ne peux changer d'avis", dit cependant Elena.
Pourtant les enfants de ses voisins ont fini à l'hôpital après avoir contracté la rougeole, virus qui provoque de la fièvre, des symptômes respiratoires et des éruptions cutanées, avec parfois des complications pouvant provoquer de graves séquelles et même la mort.
Un enfant est décédé en juillet au Royaume-Uni de la maladie, qui a aussi fait trois morts cette année aux Etats-Unis.
Monica Apostol, médecin de famille, est moins optimiste que sa consoeur au vu de ses conversations avec des parents. "Je me heurte à un mur", soupire-t-elle. "Je ne vois pas de solution".
- Extrême droite antivax -
Plusieurs facteurs entrent en jeu: les millions de Roumains partis travailler à l'étranger après la chute du communisme en 1989, occasionnant un moindre suivi vaccinal, un manque de confiance dans un secteur de la santé sous-financé, et un certain laxisme des autorités dénoncé par le corps médical.
Mais surtout, comme aux Etats-Unis dans le sillage du ministre de la Santé Robert Kennedy Jr, l'extrême droite roumaine contribue à cette tendance en se faisant l'apôtre des théories antivax.
Son chef de file George Simion, arrivé en tête du premier tour de la présidentielle en mai avant de s'incliner au second, a appelé à laisser toute liberté aux parents sur le sujet.
"Les campagnes de désinformation sont extrêmement sophistiquées, comme l'ont montré les récentes élections", souligne Gindrovel Dumitra, coordinateur vaccination d'une des principales associations de médecins.
Le nouveau président pro-européen Nicusor Dan a fait de la lutte contre les infox une priorité.
"Nous devons regagner la confiance" de citoyens désillusionnés face à un pouvoir roumain jugé corrompu et incompétent, un processus "qui prendra du temps", a-t-il insisté récemment.
En attendant, il plaide pour la mise en place de mesures permettant de "réagir dans la demi-heure qui suit la diffusion d'une fausse nouvelle afin qu'elle ne touche pas plusieurs millions de personnes" et devienne alors impossible à stopper.
Pour le cas spécifique de la rougeole, Daniel Gafita appelle, à l'instar d'autres médecins, à un durcissement des règles par le gouvernement - qui n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP. En faisant par exemple de la vaccination un préalable à la scolarisation des enfants dans le système public.
"Même si de telles mesures sont impopulaires et pas du tout dans l'air du temps", regrette-t-elle.
J.Khan--MT