

Expulsés du Pakistan, des Afghans reviennent coûte que coûte
En près de deux ans, le Pakistan assure avoir expulsé plus d'un million d'Afghans. Mais ils sont nombreux à être revenus de leur pays que, souvent, ils n'avaient jamais vu, pour échapper au marasme afghan, la deuxième plus grande crise humanitaire au monde.
"Il n'y a aucun moyen de gagner sa vie en Afghanistan et les filles n'ont pas le droit d'aller à l'école, donc y rentrer, c'est condamner ma famille à mort", raconte à l'AFP Hayatullah, un Afghan de 46 ans qui témoigne sous un nom d'emprunt par peur des représailles.
Arrêté à Islamabad, la capitale dans le centre-nord du pays, et expulsé vers l'Afghanistan au poste-frontière de Torkham, dans la province occidentale du Khyber-Pakhtunkhwa, début 2024, il a fait un long détour pour revenir au Pakistan un mois plus tard.
Au poste-frontière de Chaman, au Baloutchistan, à quelque 800 kilomètres plus au sud, il a "payé un pot-de-vin pour passer comme tous les journaliers qui traversent régulièrement pour aller travailler de l'autre côté de la frontière".
Sa femme et ses trois enfants - dont deux filles de 16 et 18 ans qui seraient privées d'éducation en Afghanistan, seul pays au monde à interdire l'école aux filles après le primaire - avaient eux échappé aux rafles.
Depuis, l'étau s'est resserré autour des près de trois millions d'Afghans du Pakistan et Islamabad assure que depuis le 1er avril plus de 200.000 d'entre eux sont rentrés volontairement ou non dans leur pays, --dont certains devenus clandestins du jour au lendemain quand leur carte de résidence a été annulée par les autorités.
- En Afghanistan, "tout est mort" -
Pour éviter d'être embarquée, la famille d'Hayatullah est partie pour Peshawar, le chef-lieu du Khyber-Pakhtunkhwa, peuplé majoritairement de Pachtounes, l'ethnie la plus importante d'Afghanistan.
"Ici, il n'y a pas le harcèlement policier qu'on subit à Islamabad", assure le père de famille.
La province, la seule du Pakistan tenue par le parti d'opposition de l'ex-Premier ministre Imran Khan désormais en prison et en conflit ouvert avec le pouvoir, passe pour un havre de paix pour les Afghans activement recherchés partout ailleurs.
C'est pour cela que Samad Khan, un Afghan de 38 ans qui témoigne lui aussi sous un nom d'emprunt, a choisi de relocaliser sa famille à Peshawar.
Né à Lahore, la grande ville de l'est pakistanais, il a découvert son pays d'origine, l'Afghanistan, le 22 avril, le jour où il y a été expulsé.
"Nous n'avons plus aucune famille en Afghanistan et là-bas, tout est mort, il n'y a ni emploi ni salaire et les talibans sont hyper stricts", raconte-t-il.
Durant quelques jours, il a tenté de voir ce qu'il pourrait faire dans un pays où 85% des habitants vivent avec moins d'un dollar par jour.
Trois semaines plus tard, il a enfin trouvé une issue: "j'ai payé 50.000 roupies à un routier afghan", soit environ 150 euros, dit-il. Et il a pu utiliser la carte d'identité d'un de ses employés pakistanais pour retraverser la frontière.
Il a ensuite filé à Lahore, fait les valises de sa femme et de leurs deux enfants et ils sont partis à Peshawar.
"J'ai loué un magasin et lancé mon commerce de chaussures d'occasion, grâce à l'aide d'un ami de Lahore. Mon affaire marche bien et la police ne nous harcèle pas comme à Lahore", affirme-t-il à l'AFP.
- "Réintégration difficile" -
Combien sont-ils à être revenus? Difficile à dire, tant les chiffres sont rares.
Des sources gouvernementales, décidées à imputer les maux du pays aux partisans d'Imran Khan, assurent que des centaines de milliers d'Afghans seraient déjà de retour et installés au Khyber-Pakhtunkhwa. Des informations invérifiables de source indépendante.
Des défenseurs des droits des migrants au Pakistan disent aussi avoir eu vent de ces retours, mais assurent que leur nombre est très limité.
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), elle, se contente d'affirmer à l'AFP qu'elle a bien "connaissance du fait que des Afghans poussés à rentrer au pays ont ensuite choisi de repartir au Pakistan".
Rien d'étonnant, poursuit Avand Azeez Agha, en charge de la communication de l'agence onusienne à Kaboul, car ces migrants sont renvoyés vers "des zones avec un accès limité aux services de base et aux opportunités d'emplois et de revenus".
"Les gens veulent des opportunités durables, or leur réintégration (en Afghanistan) est difficile".
D.Mehra--MT