

Violences au Kenya: l'exécutif affirme avoir "déjoué un coup d'Etat", l'ONU demande des enquêtes "transparentes"
Le gouvernement kényan a affirmé avoir "déjoué un coup d'Etat" et dénoncé "du terrorisme déguisé en contestation" lors des manifestations mercredi réprimées dans le sang, qui ont fait 16 morts et plus de 400 blessés, l'ONU demandant des enquêtes "transparentes" au Kenya.
Le centre de Nairobi affichait jeudi des traces des affrontements de la veille : immeubles calcinés, vitres cassées, et des milliers de commerces - depuis les supermarchés jusqu'aux magasins de vêtements ou d'électronique - pillés, a constaté l'AFP.
L'oeuvre de "voyous" payés, dans une action "préméditée", une "campagne bien orchestrée de violence politique", a affirmé, sans plus de précisions, le ministre de l'Intérieur kényan, Kipchumba Murkomen lors d'un discours télévisé.
Mercredi, des milliers de jeunes sont à nouveau descendus dans la rue dans plusieurs villes pour rendre hommage aux victimes des manifestations organisées en juin et juillet 2024 contre une loi budgétaire controversée et la corruption, dont l'apogée fut la prise du Parlement le 25 juin, durement réprimée.
Plus de 60 personnes avaient au total été tuées l'année dernière, et plus de 80 personnes avaient été enlevées - parfois des mois après les manifestations -, dont certaines sont encore portées disparues, selon les groupes de défense des droits humains.
- Balle "sous l'œil" -
Au départ pacifiques, les rassemblements ont tourné mercredi à la violence, des manifestants allumant des feux et jetant des pierres sur les forces de l'ordre, qui ont répliqué en lançant des gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes en grande quantité.
Amnesty International a déclaré jeudi qu'au moins 16 personnes ont été tuées dans le pays, quand un précédent bilan donné mercredi soir faisait état de huit morts et au moins 400 blessés, dont 83 dans un état grave, selon une coalition d'une vingtaine d'ONG, dont Amnesty.
Parmi les blessés, au moins huit ont été traités pour des blessures par balle et trois sont des policiers, avaient comptabilisé ces ONG. Les médias kényans évoquaient des tirs à balles réelles de la police, notamment en périphérie de Nairobi.
"On lui a tiré sous l'œil et la balle est sortie par l'arrière de sa tête", a raconté Fatuma Opango à l'AFP devant la morgue de Nairobi, où elle a reconnu la dépouille de son neveu Ian, 17 ans, pour lequel elle réclame "justice".
"Vous sortez pour protester contre les tueries policières, et ils en tuent encore plus", a tonné Hussein Khalid, le directeur exécutif de l'ONG de défense des droits humains Vocal Africa, qui dénonce un "usage excessif de la force".
L'ONU, dans un communiqué, s'est dit jeudi "profondément préoccupée" par les informations faisant état de morts et de blessés par balle au Kenya.
"La force létale des forces de l'ordre, comme les armes à feu, ne devrait être utilisée qu'en cas de stricte nécessité", a affirmé Elizabeth Throssell, porte-parole du Haut-Commissariat onusien aux droits de l'homme, appelant à l'ouverture d'enquêtes "indépendantes et transparentes".
Jeudi, le ministre de l'Intérieur kényan a, lui, communiqué un bilan de plus de dix morts et 400 blessés... dont 300 sont selon lui étaient des policiers.
La police, qui a fait preuve d'une "retenue remarquable", a "réussi à déjouer un coup d'Etat", a loué Kipchumba Murkomen.
- "Régime voyou" -
Jeudi, le quotidien d'opposition The Standard titrait toutefois en Une : "Régime voyou". "Au lieu d'une oreille attentive, (les manifestants) ont rencontré des barbelés, des camions blindés et l'emprise froide de la répression", dénonçait-il.
"Leurs voix ont percé à travers le brouillard de gaz lacrymogène et de tyrannie, refusant d'être noyées dans la peur du sang", soulignait encore le journal.
Dans le centre administratif et financier de la capitale, déjà endommagé l'an passé, des commerçants se sont dits désespérés, après avoir été dévalisés.
Les vols ont débuté mercredi après-midi après l'annonce d'une interdiction pour les télévisions et radios de diffuser en direct des images des manifestations, ont affirmé leurs propriétaires à l'AFP.
"Ils ont tout pris", s'est désolée Maureen Chepkemoi, 32 ans, dans son magasin de parfums pillé, dans lequel elle dit avoir perdu pour un demi million de shillings (environ 3.300 euros) de marchandises.
"Certains de nos locataires pleurent", a déclaré David Gitonga, le propriétaire d'un immeuble abritant des centaines de commerces, qui estime le préjudice total à plus de 100 millions de shillings (plus de 660.000 euros).
Comme en 2024, de nombreux manifestants mercredi réclamaient la démission de William Ruto, élu en 2022.
L'impopulaire président s'est efforcé d'éviter toute hausse directe d'impôts dans le budget de cette année afin de limiter les troubles.
En plus des violences, de la corruption et des difficultés économiques, la jeunesse réclame les emplois que le président leur avait promis pendant sa campagne.
Q.Kulkarni--MT