

Tchad: l'ex-Premier ministre Succès Masra interpellé pour "incitation à la haine"
L'ancien Premier ministre tchadien Succès Masra, figure de l'opposition, a été interpellé tôt vendredi matin pour diffusion de messages d'"incitation à la haine" liés à des affrontements meurtriers la veille dans le sud-ouest du pays, a annoncé le parquet tchadien.
Le parti de M. Masra avait auparavant affirmé qu'il avait été "enlevé".
Jeudi, un "affrontement violent" avait fait des dizaines de victimes dans la région du Logone-Occidental (sud-ouest), selon le gouvernement. Un conflit entre des éleveurs peuls et des agriculteurs ngambayes autochtones sur la délimitation des zones de pâturage et d'agriculture dans le village de Mandakao serait à l'origine du bilan meurtrier, avait indiqué une source locale.
"Le bilan fait état de 42 victimes, majoritairement des femmes et des enfants", a déclaré le procureur de la République Oumar Mahamat Kedelaye lors d'un point presse vendredi en fin de matinée.
"Les enquêtes menées par la police judiciaire ont révélé l'implication de M. Assyongar Masra Succès", a ajouté le procureur.
"Des messages ont été diffusés, notamment sur les réseaux sociaux, appelant la population à s'armer contre d'autres citoyens", a-t-il précisé, sans révéler leur contenu ou si M. Masra en était l'auteur.
- "Action brutale" -
"Ces actes graves sont constitutifs d'incitation à la haine, à la révolte des bandes armées, de complicité d'assassinat, d'incendie volontaire et de profanation des sépultures", a énuméré le magistrat.
Les Transformateurs, le parti de M. Masra, avaient évoqué dans un premier temps un "enlèvement" et diffusé un extrait d'une vidéo de caméra de surveillance montrant l'intéressé sortant de son domicile, encadré par plus d'une dizaine d'hommes en uniformes militaires et armés.
Dans un communiqué de presse, le parti avait ensuite dénoncé une "action brutale, menée en dehors de toute procédure judiciaire connue (et) en violation flagrante des droits civiques et politiques garantis par la constitution."
Le magistrat a quant à lui indiqué que "la procédure judiciaire suit son cours et toutes les personnes impliquées devront répondre de leurs actes".
Le premier bilan de l'affrontement dans la région du Logone-Occidental (sud-ouest) faisait jeudi état de 35 morts, depuis revu à la hausse.
Les conflits agro-pastoraux ont fait plus d'un millier de morts et 2.000 blessés entre 2021 et 2024, selon les estimations de l'ONG International Crisis Group.
Succès Masra, originaire du sud du pays, appartient à l'ethnie ngambaye et bénéficie d'une large popularité auprès des populations du sud à majorité chrétiennes et animistes, qui s'estiment souvent marginalisées par le régime de N'Djamena majoritairement musulman.
- "Jeudi noir" -
Economiste formé en France et au Cameroun, M. Masra, 41 ans, avait été nommé Premier ministre cinq mois avant l'élection présidentielle de mai 2024 à laquelle il s'était porté candidat, dans un duel inédit face au président élu Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé vainqueur avec plus de 60% des suffrages.
Son parti des Transformateurs avait ensuite boycotté les élections législatives, sénatoriales et locales.
Le scrutin présidentiel a mis fin à trois ans de transition politique entamée à la mort d'Idriss Déby Itno, père de l'actuel président tchadien qui régna sur le pays pendant plus de 30 ans et fut tué à 68 ans par des rebelles en se rendant sur le front en 2021.
Depuis 2018, M. Masra était la seule figure de l'opposition capable de mobiliser des milliers de partisans dans la capitale lors de manifestations systématiquement réprimées avec violence, dans le sang parfois.
Comme d'autres leaders d'opposition, il avait été contraint à l'exil quelques jours après une manifestation meurtrière, le 20 octobre 2022, contre le maintien des militaires au pouvoir. Ces derniers venaient de faire prolonger de deux ans la transition politique de 18 mois au terme de laquelle ils avaient initialement promis de rendre le pouvoir aux civils.
Une cinquantaine de personnes avaient été tuées ce jour-là, selon les autorités. L'opposition et des ONG locales et internationales avaient évoqué de 100 à 300 morts, pour la quasi-totalité des jeunes manifestants tués par balles par la police et l'armée, essentiellement à N'Djamena.
L'image de parangon de l'opposition de M. Masra s'était étiolée lorsqu'il était rentré d'exil en novembre 2023, à la faveur d'un accord de réconciliation signé avec le président Déby qui inclut, pour le "Jeudi noir" du 20 octobre 2022, une amnistie générale pour des centaines de jeunes condamnés pour "insurrection" mais surtout, dénonce l'opposition, pour ceux qui tiré dans la foule.
Les anciens alliés de Succès Masra ont pris ostensiblement leurs distances, l'accusant d'avoir passé par pertes et profits ces victimes, qu'il avait lui-même appelées à manifester, en échange d'un poste de Premier ministre.
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J.Khan--MT