

Nuit blanche à Genève, pas de traité plastique et maintenant ?
Il n'y aura pas de traité contre la pollution plastique à Genève: après un constat d'échec cuisant pour l'environnement et pour la diplomatie, les Nations unies essayaient vendredi de chercher une porte de sortie.
Le représentant de la Norvège, co-président d'un groupe de pays qui défendait un traité "ambitieux" pour protéger l'environnement et la santé humaine face au danger grandissant de la pollution plastique, l'a annoncé en ouverture d'une réunion plénière des 185 gouvernements réunis depuis dix jours : "nous n'aurons pas de traité sur la pollution plastique ici à Genève".
Le président du comité des négociations (CNI5-2), l'Equatorien Luis Vayas Valdivieso, avait présenté en 24 heures deux versions différentes d'une proposition de compromis, dont le dernier dans la nuit du 14 au 15 août dans une ambiance fiévreuse et inquiète.
Mais les chefs de délégation réunis en session exceptionnelle à l'aube n'ont pas réussi à se mettre d'accord en dépit d'une sensible évolution dans la formulation.
Ce texte, qui comportait encore plus d'une centaine de points à clarifier, constituait une "base acceptable de négociation", avaient indiqué deux sources gouvernementales distinctes interrogées par l'AFP juste après la mise en ligne du texte sur le site onusien.
Mais lors de la dernière séance, il n'a pas fait consensus --la règle cardinale de l'Onu--, et tout le processus a fini par être ajourné, au bout d'une session qui avait déjà été étendue au-delà de ses limites.
Beaucoup de délégués ont fait part de leur déception devant l'échec des négociations, la représentante de Fiji estimant que ce revers "affaiblit le multilatéralisme".
"Une poignée de pays, guidés par des intérêts financiers de court terme et non par la santé de leurs populations et la durabilité de leur économie, ont bloqué l'adoption d'un traité ambitieux contre la pollution plastique", a regretté la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier Runacher, dans une déclaration.
Pour les représentants des îles du Pacifique ou d'ailleurs, dont certains ont mis trois jours pour arriver à Genève, cet échec signifie que "sans aide extérieure, des millions de tonnes de déchets plastique vont continuer à être jetés dans nos océans, affectant nos écosystèmes, notre sécurité alimentaire, notre vie et nos cultures", a déploré le représentant de l'archipel de Tuvalu.
Depuis le démarrage du processus en 2022, une guerre de tranchées de plus en plus âpre a opposé deux camps apparemment irréconciliables.
Les "ambitieux", dont l'Union européenne, le Canada, l'Australie, beaucoup de pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'îles, qui voulaient réduire la production mondiale de plastique et contrôler les molécules les plus préoccupantes pour la santé, afin de réduire la pollution.
En face, des pays essentiellement pétroliers qui refusent toute contrainte sur la production d'hydrocarbures à la base de l'industrie plastique et toute interdiction de molécules ou additifs problématiques pour la santé.
Ces pays ne supportaient pas que la négociation porte sur "toute la durée de vie" du plastique, c'est-à-dire depuis la substance dérivée du pétrole jusqu'à son état de déchet, en passant par les objets qu'il sert à fabriquer.
Ils ont mené une guerre de pilonnage pour obtenir le changement du "scope" ou de la portée de la négociation et du texte du traité, fixée en 2022 lors de l'assemblée générale Environnement des Nations unies.
Cette session de négociation n'est "pas close", a déclaré M. Vayas Valdivieso à l'AFP, et une prochaine future session relèvera donc d'une "nouvelle partie de CNI5".
"Le secrétariat va travailler pour trouver une date et un endroit, où CNI5-3 aura lieu", a-t-il ajouté.
Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, la diplomate chevronnée Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (UNEP), a indiqué que les 10 journées de négociations ont permis de comprendre "plus en détails les +lignes rouges+" de chaque pays.
"Nous ne les connaissions pas aussi bien qu'aujourd'hui. (...) C'est un pas très important", a-t-elle confié à l'AFP. "Nous vivons dans une période politique et géopolitique complexe. Et en plus le multilatéralisme est sous tension".
Sous l'œil des représentants des industries pétrochimiques présents dans les couloirs, les pays avaient déjà échoué à produire un texte commun à Busan en Corée du Sud fin 2024.
Le sujet est d'autant plus important que la planète a produit plus de plastique depuis 2000 que durant les 50 années précédentes. Et la tendance s'accélère: si rien n'est fait, la production actuelle, de quelque 450 millions de tonnes par an, devrait tripler d'ici 2060, selon les prévisions de l'OCDE. Moins de 10% est recyclé.
Greenpeace ainsi que d'autres ONG ont immédiatement ciblé les industries pétrolières et chimiques.
"La crise du plastique s'accélère et l'industrie pétrochimique est déterminée à nous sacrifier au profit de ses intérêts à court terme", a estimé Greenpeace.
Les ONG, qui devaient prendre la parole publiquement en fin de session n'ont d'ailleurs pas pu s'exprimer, après une demande impérieuse d'ajournement de la part du représentant des Etats-Unis John Thompson, et de celui du Koweit, désireux de terminer la session au plus vite après une nuit blanche.
A.Singh--MT