

La sensibilité des plantes revient au goût du jour
Se tourner vers le soleil pour en capter les rayons, s'agripper à une clôture pour continuer de grimper: les plantes aussi ont leur sensibilité, bien différente de celle des humains, une spécificité qui attire les chercheurs ces dernières années.
"Ce qu'on entend par sensibilité, ce n'est pas le fait que les plantes ont des émotions ou des sentiments comme les humains. C'est le fait qu'elles reçoivent des informations de leur environnement de manière précise, continue et dynamique, et que ces informations vont les amener à avoir des réactions, visibles ou non à nos yeux", explique à l'AFP Delphine Arbelet-Bonnin, docteure en biologie cellulaire et co-autrice de "Sensibles par nature", un livre paru début octobre chez Ulmer.
L'idée n'est pas nouvelle - le Britannique Charles Darwin ou le Français Claude Bernard l'ont avancée au XIXe siècle - mais les progrès de la biologie moderne la confirme jour après jour.
Capter les messages dans l'air, toucher sans peau ni doigts, dialoguer secrètement par les racines, vibrer au rythme des bruits alentours... La gamme des sensibilités est riche.
Mais comment les plantes, dépourvues par essence de système nerveux, font-elles ?
Pour comprendre, il faut zoomer jusqu'aux capteurs placés sur les membranes entourant leurs cellules.
C'est là que les plantes réceptionnent les informations provenant de leur environnement, qu'elles transforment en signaux électriques.
Prenons l'exemple de la Drosera tokaiensis - la rosée du Tokaï - une jolie plante carnivore à la fleur violette: lorsqu'elle perçoit qu'une chenille affamée est en approche, elle est parcourue de signaux électriques.
Ces signaux "ne sont pas exactement les mêmes que ceux qui parcourent le système nerveux des animaux, mais ils en sont très proches", explique la biologiste. Dans le même temps, les phytohormones - les hormones chez les plantes - véhiculent également des informations dans tout l'organisme.
Ces signaux électriques et ces hormones vont entraîner de manière diffuse dans l'organisme des réactions biochimiques "qui vont orienter la croissance, le métabolisme".
Et dans le cas de notre rosée du Tokai, lui intimer l'ordre de refermer ses pétales, afin de protéger de la voracité de la chenille ses organes reproducteurs.
- Cécité végétale -
Le tournesol, qui se tourne ostensiblement vers le soleil, la bryone, le lierre ou le haricot, qui grimpent à n'en plus finir, ou encore cette incroyable Alsomitra macrocarpa, une plante japonaise dont les graines ailées planent sur plusieurs mètres au moment de la libération des fruits, sont autant d'exemples de sensibilité végétale très visibles à l'oeil nu.
Mais généralement, c'est la "cécité végétale" - conceptualisée en 1986 par le botaniste américain James Wandersee - qui l'emporte.
"On a tendance à voir ce qui va bouger - les animaux - ou ce qui va faire du bruit - les oiseaux qui chantent. Les plantes sont moins mobiles, elles ne sont pas dans la même échelle de temps que nous, donc on fait moins attention", souligne Delphine Arbelet-Bonnin.
Les regards évoluent pourtant "depuis une vingtaine d'années", note Lucia Sylvain Bonfanti, co-autrice du livre, qui termine cette année sa thèse sur la sensibilité des plantes après un parcours pluridisciplinaire alliant psychologie, neurosciences, biologie cellulaire et géographie.
"En anthropologie, en géographie, notamment, on recommence à parler de la sensibilité des plantes, de leur capacité d'agentivité - être maître de soi - de leur façon de communiquer, de ce rapport qu'on a à elles aussi. C'est un tournant végétal qu'on voit dans les sciences humaines et sociales, mais qu'on voit aussi dans l'art, notamment le théâtre et la poésie", souligne-t-elle.
Le Covid, notamment, est passé par là.
"Récemment, une étude menée en Grande-Bretagne a montré après le confinement un intérêt croissant des gens pour les plantes, les jardins, parce que c'est assimilé au bien-être et à un retour à la nature", rappelle Delphine Arbelet-Bonnin.
Q.Dutta--MT